Comment un enfant qui a nourri dès ses jeunes années passées au Cameroun une fascination pour les bébés-crocodiles se retrouve des décennies plus tard sur la piste des narcotrafiquants dans la jungle du Honduras, sans oublier entre les deux une longue halte au sein de communautés locales malgaches pour créer avec elles une filière d’huiles essentielles ?
Voici l’histoire inspirante d’Olivier Behra que nous avons eu la chance de rencontrer il y a quelques semaines lors d’un de ses passages à Paris.
Du Cameroun à Madagascar, grâce aux crocodiles
Il était donc une fois un jeune homme qui, nostalgique de son Afrique natale et de sa passion pour les crocodiles, démarra sa vie active comme soigneur animalier au zoo de Vincennes. Un bon moyen de retrouver ses chers crocodiles et de se plonger dans la riche bibliothèque du Museum national d’Histoire naturelle.
Une belle opportunité aussi pour ce parfait autodidacte de participer à une étude sur les crocodiles en Afrique, supervisée par le Museum et financée par les Nations-Unies. « A 25 ans, explique Olivier, j’étais le plus jeune chef de projet des Nations-Unies, ma mission c’était de développer l’élevage reproducteur des crocodiles à Madagascar. Ils n’y connaissaient rien, ils étaient dans une logique d’élevage et de production en captivité, alors que moi j’étais un « conservationniste », je connaissais le rôle hyper important des crocodiles dans la préservation de l’habitat naturel et de la biodiversité. Je leur ai dit : « On va faire du ranching, pour que les crocodiles restent dans la nature », je suis donc allé former des paysans malgaches au fin fond de la brousse, je leur ai appris à collecter des œufs dans la nature, et j’ai formé, en ville, des éleveurs à les engraisser, avant qu’ils ne les revendent à des entreprises européennes.
Les éleveurs devaient donc se fournir directement auprès des paysans, qui d’un côté en tiraient du revenu et de l’autre devenaient au passage des protecteurs des animaux et de la nature. Le projet a vite acquis son autonomie et fonctionné pendant 20 ans. » Fort de cette première expérience qui associait avec succès impact économique, environnemental et social, Olivier Behra, fasciné comme Gilles Gautier par la beauté de l’île, décide de rester à Madagascar.
Prouver qu’à Madagascar, on peut vivre de la forêt sans la couper
A Madagascar, l’écosystème est en grand danger car chaque année les paysans brûlent 250 000 hectares de forêt, remplacée par des prairies pour les zébus ou la culture du riz. Un désastre écologique auquel Olivier Behra décide de s’attaquer en suivant la même logique : il lui faut prouver aux habitants que la préservation de la forêt et des plantes leur rapportera beaucoup plus que la culture sur brûlis, sans parler des énormes bénéfices environnementaux.
Dans un premier temps donc, Olivier Behra, « devenu scientifique par esprit d’aventure », se lance dans l’étude des plantes médicinales et des huiles essentielles. Il réalise que les 2000 plantes médicinales utilisées traditionnellement par les biopraticiens malgaches sont en train de disparaître alors qu’elles pourraient être produites de façon favorable à l’environnement, dans le respect de la biodiversité, et qu’elles ont un gros potentiel économique : « Plus de la moitié des médicaments contre le cancer mis sur le marché ces dernières années sont issus de plantes. On se rend compte que la chimie ne suffit plus. Si on perd cette biodiversité, on perdra du bien-être humain ! ». D’où l’intérêt et l’urgence de redynamiser et revitaliser cette précieuse pharmacie naturelle…
« C’est comme cela, raconte Olivier Behra, que j’ai créé en 1993 l’ONG L’Homme et l’Environnement, pour avoir une approche holistique qui fasse le lien entre l’économique et la préservation de la biodiversité. Il fallait un vrai modèle économique, j’ai donc créé une entreprise, Aroma Forest ». Parmi les souvenirs marquants de ses débuts, cette incroyable expédition : « Avec l’aide d’Yves Rocher, on a réussi à apporter un alambic de 1500 l sur un site que j’avais identifié pour fabriquer de l’huile essentielle de saro. Il n’y avait aucune route, on a dû transporter l’alambic dans une pirogue, on a fait 60 kms en mer pour aller le déposer en pleine jungle ».
A partir de là, « on apprend aux communautés locales à distiller, elles peuvent donc produire les huiles essentielles en plein milieu de la brousse ! Les paysans gagnent leur vie avec une technologie vieille comme le monde, celle des bouilleurs de cru. Une cuve, de la vapeur, et au final, une huile essentielle, l’essence de la forêt… ». Ensuite, grâce à la mise en place d’une solide filière commerciale, les huiles essentielles sont achetées par de grandes maisons de parfum parisiennes et la distillerie fait vivre le village, l’école et le dispensaire, soit environ un millier de personnes. Quant au processus de dégradation de la forêt, il s’arrête grâce à cette nouvelle source de revenus durables (« Quand on gagne de l’argent avec les feuilles d’un arbre, on s’assure qu’il ne sera pas coupé ! »), et le temps vient de s’engager dans une démarche de reforestation. A cet effet, plus de 120 espèces locales sont cultivées en pépinière avant d’être replantées.
Au fil des années, ce modèle vertueux a essaimé et d’autres micro-entreprises communautaires ont été créées par des paysans locaux malgaches, notamment dans les réserves de Vohimana, Vohibola et Ambohidravy. Aujourd’hui, l’expertise d’Olivier Behra qui conjugue préservation de la biodiversité, valorisation des ressources naturelles et développement des communautés de base, en s’appuyant sur l’implication du secteur privé, est reconnue dans le monde entier.
Jungle Beef, une BD pour sensibiliser aux ravages de la narco-déforestation au Honduras
En 2016, Olivier Behra traverse les forêts du Honduras en repérage pour un documentaire audiovisuel, produit pour l’application « The Explorers » qui propose un inventaire du patrimoine culturel et naturel de la planète en vidéos ou photos : « Moi, pendant ces missions, je fais un vrai travail d’ethno-botaniste, je vais à la rencontre des ethnies locales, j’essaie de comprendre comment elles vivent, quelles plantes elles cultivent et consomment, j’essaie de retrouver leurs savoirs traditionnels ». A l’approche d’une cité perdue qu’ils ont repérée, Olivier demande et obtient de poursuivre l’exploration seul, escorté de deux gardes et d’un guide.
« J’ai mis trois jours à remonter une rivière pour arriver à mon but, aller à la rencontre de cette ethnie Pech, dont il reste un millier de représentants, avec son langage et sa culture. A mon arrivée, je me pose et je découvre stupéfait des bœufs au milieu de la jungle !
J’ai vite compris la situation gravissime que j’avais sous les yeux : les narcotrafiquants blanchissent l’argent de la drogue en payant de pauvres paysans, qu’ils chargent d’élever les bœufs qu’ils revendront ensuite. Sur le mode : je détruis illégalement la faune et la flore de la jungle, j’ y mets des bœufs, tu les élèves, et je te les achète. Avec à l’envi, corruption, intimidation ou assassinats… Un système complètement pervers qui mêle la beauté d’un peuple, le trésor de ses traditions, la magie d’un environnement naturel somptueux, à la déforestation, la destruction de la biodiversité et la production d’une viande complètement pourrie qui atterrira finalement chez McDo aux États-Unis ou dans les rayons des supermarchés en France ! ».
Soucieux de faire connaître cette catastrophe humaine et écologique, il décide de s’associer au dessinateur Cyrille Meyer pour raconter et sensibiliser : « Les gens n’ont pas envie de se poser des questions et de renoncer à leur bon steak. Alors je me suis dit que la BD, ou plutôt le roman graphique, était un bon moyen de faire passer le message : une aventure, une plongée au cœur de la somptueuse biodiversité de la forêt du Honduras, des rencontres hors du commun, et au passage des messages de fonds ».
La 4ème de couv de l’ouvrage, paru en octobre 2021 aux Editions de l’Escale (et qui pourrait être un excellent cadeau à glisser sous le sapin de Noël !) est sans appel : « La forêt n’y résistera pas. Les Pechs non plus. Ni les Pechs, ni les Mosquitos. Ni tant d’autres en Amérique centrale, en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique. Partout où la mafia est là… on rase… on scalpe… on balafre des forêts entières. »
Quand on demande à Olivier Behra si cette BD ne pourrait pas être la première d’une longue série, il ne dit pas non, et l’on voit passer dans son regard le souvenir de sa rencontre au Honduras avec un chaman désenchanté face à la destruction de sa terre, de ses arbres, de son peuple et de ses savoirs : « Mon rêve est de partir le retrouver et de recueillir le savoir qu’il détient pour en faire un livre et l’offrir à son peuple ». #inspirations
Pour en savoir plus :
La BD Jungle Beef, parue aux Editions de l’Escale, dans la collection « Témoins du monde », le 07/10/2021
Une vidéo Arte : Biodiversité et L’Homme et l’Environnement
Une vidéo : Céline Cousteau découvre les plantes et huiles essentielles de Vohimana
Article écrit par Anne Cormier.
Superbe histoire, comme les autres racontées ici. Merci pour ce site inspirant et documenté. L’article sur les sapins de Noel est bien utile également.