« Incroyable découverte dans une forêt du département » : si vous tombez sur ce titre à la une de votre quotidien régional, gageons que vous ne penserez pas immédiatement à un arbre… Après tout, quoi de plus naturel que de trouver des arbres dans une forêt ? C’est vrai, sauf si l’arbre en question est un érable ondé. Lorsque l’on sait que seul 1 érable sur 1000 est ondé et qu’il est quasiment impossible de détecter cette particularité avant la coupe, et lorsqu’on se souvient que « tout ce qui est rare est cher », on commence à mieux comprendre cet engouement… D’accord, mais qu’a-t’-il de si spécial cet érable ondé ?
L’ondulation des fibres, l’anomalie qui fait la rareté et la beauté de l’érable ondé
Voïchita Bucur, le spécialiste français en la matière, rappelle que normalement les fibres du bois se développent d’une façon droite et verticale, à part quelques perturbations provoquées par l’empattement de grosses branches. Or, chez l’érable, il arrive, une fois sur 1000 environ, que les fibres soient déformées et se présentent sous forme de bandes ondulées chatoyantes plus ou moins régulières, alternativement mates et brillantes. La figuration ondée étant plus ou moins prononcée dans le sens soit vertical ou axial, soit dans le sens tangentiel. L’espacement de ces ondes reste parallèle et constant pour un même arbre, mais il peut varier de quelques millimètres à plus d’un centimètre suivant les sujets et leur origine.
Toujours selon Voïchita Bucur, « l’ondé du bois est dû à la présence massive dans le plan ligneux des cellules des rayons médullaires, qui font dévier les fibres de leur direction parfaitement longitudinale de croissance de l’arbre, en leur donnant une légère sinuosité ». Si l’irruption du phénomène reste encore largement inexpliquée, on sait en revanche, statistiques à l’appui, que l’érable sycomore, commun en Europe, fournit, parmi toutes les autres essences feuillues autochtones, le pourcentage le plus élevé de bois à fibres ondulées. En France, ce sont le Jura, les Vosges, la région de Neufchâteau et le Haut-Doubs qui abritent le plus grand nombre d’étables ondés.
Dernier point à souligner : l’érable ondé ne révèle ses trésors qu’une fois qu’il est coupé, sauf à être sondé en amont en soulevant son écorce. Sa découverte relève donc la plupart du temps de la surprise !
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Cette anomalie rarissime du développement des fibres donne au bois une texture très particulière, d’une grande beauté, et à ce titre l’érable ondé a de tout temps été prisé. En particulier par les luthiers qui, dès l’origine, ont repéré dans cette essence une combinaison exceptionnelle de qualités acoustiques et esthétiques, propre à favoriser leur idéal d’équilibre et d’harmonie.
Les règles de fabrication du violon classique, telles qu’elles ont été élaborées par Andréa Amati à Crémone, la patrie italienne de Stradivarius, au XVIème siècle, ont très peu évolué depuis. Et l’érable ondé reste le graal des luthiers, si l’on en croit les artisans jurassiens du Bois de Lutherie : « Nous le chassons dans tout le grand Est de la France, de Laon à Gap… mais aussi en Suisse, dans les Carpates roumaines ou en Bosnie », ou encore le luthier Franck Cheval qui, en 2020, présentait avec passion à la Chaîne Guitare sa dernière acquisition venue compléter ce qu’il considère comme son « trésor de guerre ».
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L’érable ondé, l’objet de toutes les convoitises
Aujourd’hui les luthiers ne sont plus les seuls à convoiter le précieux érable ondé, ils doivent notamment faire face à la concurrence de l’industrie du mobilier et de celle du luxe, qui raffole de ce bois précieux pour la fabrication, dans le monde entier, des tableaux de bord des yachts ou des voitures de luxe. Concrètement cela signifie que, sous la pression des « trancheurs » et « dérouleurs » industriels qui fournissent ces filières, le marché du bois d’érable ondé voit ses prix exploser au détriment des luthiers qui ont de plus en plus de mal à suivre.
Pour bien comprendre, il faut savoir qu’en France la vente de l’ensemble des bois issus des forêts publiques, qu’il s’agisse des forêts domaniales ou des forêts des communes forestières et autres collectivités territoriales (ce qui représente près de 40% des bois mis en marché) est assurée par l’ONF. Et cela selon les règles du Code forestier, qui, fortement imprégné des principes inscrits dans l’Ordonnance de Colbert de 1669, stipule que « l’objet vendu est une coupe prévue à l’aménagement et inscrite à l’état d’assiette de l’année et le mode de vente normal est l’appel à la concurrence ».
Un bon exemple est celui des ventes franco-allemandes de feuillus précieux organisées chaque année depuis 1993 à Saint-Avold (Moselle), une commune qui dispose d’un important « parc à grumes », c’est à dire un lieu d’exposition en forêt de « billes » d’exception. « Les grumes sont de très haute qualité, produits de niche, une épicerie fine pour trancheur, dérouleur et mérandier. Les prix sont donc très élevés mais doivent être remis dans le contexte d’une vente de feuillus précieux », lit-on sur le site foretwallonne.be. Avant la vente, les acheteurs potentiels viennent examiner les lots de bois dans le parc à grumes. Ils font ensuite une offre de prix aux responsables des ventes. Chaque lot est attribué au mieux offrant. Un système qui donne bien peu de chances aux facteurs d’instruments de musique qui n’ont pas les moyens d’enchérir à hauteur des gros industriels.
Vers un accès préférentiel des luthiers à l’érable ondé ?
Dès 1997, comme l’explique Jean-Marie Ballu dans son ouvrage Bois de musique, un protocole a été signé entre l’Association des luthiers de Mirecourt (capitale française de la lutherie) et l’ONF, qui convient que désormais en Lorraine et en Champagne-Ardenne, tout érable ondé découvert sera prioritairement proposé à l’association des luthiers. En échange de quoi les facteurs d’instruments s’engagent à apprendre aux agents de l’ONF comment identifier les érables ondés parmi les arbres destinés à la coupe, et ainsi éviter qu’ils soient vendus dans des lots d’érables classiques.
Ainsi, au moment où par ailleurs la concurrence chinoise menace la tradition européenne de lutherie, l’érable ondé devient un atout précieux de la survie de ce savoir-faire ancestral, à condition bien sûr que son accès en soit maintenu, voire même privilégié, pour les luthiers !
Décidément, l’érable a toutes les qualités, même quand il présente des anomalies …
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