Cuisine : quand la forêt s’invite dans notre assiette

Cakes à la farine de gland et petit épeautre, pavé de bœuf irlandais fumé à la tourbe, canette rôtie et beignets de lichens, mignardises au chocolat et sapin, sorbet aux pousses de mélèze, glace à l’eau d’épicéa, bière à la sève de bouleau blanc… : derniers gadgets folkloriques de chefs soucieux d’afficher leur amour de la nature, du « locavorisme » et du tout green ? Pas forcément, si l’on songe par exemple que le gland tenait une large place dans l’alimentation néolithique et paléolithique, pourquoi pas dans la cuisine gastronomique ? Plus près de nous, le sirop d’érable, aliment essentiel des peuples des forêts amérindiennes, demeure un incontournable du patrimoine culinaire canadien.

Finalement, aujourd’hui, comme l’explique René Meilleur, restaurateur en Savoie, « on ose tout mais on revient surtout à ce que faisaient nos ancêtres. Il y a cent ans, presque tout se mangeait dans la nature, on savait très bien, depuis les racines, ce qui était ou pas comestible. Ma grand-mère cuisinait déjà le sapin, les orties ou la reine des prés. C’est fantastique de retrouver ces goûts du passé ». Prêts pour une petite virée foresto-gastronomique ? On y va !

Marc Veyrat

La cuisine gastronomique, naturelle, végane, biologique, locale et goûteuse !  

Qui dit arbres, dit forêt, et dit souvent montagne, c’est donc tout naturellement les chefs cuisiniers de montagne qui se sont lancés les premiers, et avec brio, dans la cuisine gastronomique à base d’arbres. Leur conviction : les vertus gustatives et les qualités nutritives des écorces, racines, bois, sèves, aiguilles ou feuilles des arbres sont infinies, à condition de bien choisir les essences (les arbres sont comme les champignons : certains sont de véritables poisons !) et de travailler et retravailler les préparations, jusqu’à dévoiler des saveurs subtiles, inédites et délicieuses. Comme le dit le chef Laurent Petit, « la montagne et ses produits sont tellement prégnants aromatiquement parlant, que ce sont des marqueurs très forts de notre société. On a tous en mémoire l’odeur d’une balade en forêt : physiquement, on s’y sent bien, on y respire bien, il fallait donc aussi donner à goûter cette odeur et cette saveur dans notre cuisine ».

Stefan Wiesner, son plat « Je crois que je scie dans les bois » : Sauce aigre-douce à base de pousses de sapin, pousses de racine de sapin, trèfle des bois.

Mon beau sapin, roi des assiettes

Le sapin est incontestablement la star de cette cuisine gastronomique et les chefs rivalisent de créativité et de talent pour en extraire les saveurs. Au Danemark, le célèbre restaurateur René Redzepi propose tout simplement de « cuisiner le sapin de Noël », qui côtoie sur sa carte des feuillus tels que le hêtre ou le bouleau, ou du lichen réduit en mousse et servi frit avec des cèpes. Plus près de nous, les grands noms de la cuisine savoyarde comme Marc Veyrat et sa « Maison des bois », Emmanuel Renaut et son « Auberge du Bois Prin », Laurent Petit et son « Clos des sens », René Meilleur et sa « Bouitte », Jean Sulpice et son « Auberge du Père Bise » (et bien d’autres !) font infuser, cuisent, grillent, réduisent, transforment en poudre, en farine, en mousse ou en gelée, bref, magnifient tous les ingrédients du sapin, de l’épicéa ou du mélèze pour nous offrir d’étonnants plats, sauces, condiments et desserts ! D’autres, plus citadins, s’y sont mis également, à l’image d’Anne-Sophie Pic ou David Toutain. Les étoiles Michelin ne s’y sont pas trompées, qui pleuvent sur ces hauts lieux de la cuisine des arbres.

Stefan Wiesner

Stefan Wiesner, l’alchimiste de la tourbe, de la pierre et de la cendre

Encore plus audacieux et plus ancré dans les profondeurs de la forêt, le chef Suisse Stefan Wiesner que l’on surnomme le « sorcier d’Entlebuch » propose une cuisine naturelle avant-gardiste, préparée avec des herbes, des baies, des mousses, des lichens, du bois, des mousses, de la tourbe, du foin, des fougères, mais aussi de la pierre, de la terre, de la cendre, et même de la neige… La forêt n’a aucun secret pour lui, il l’arpente inlassablement et rapporte ses trésors dans sa cuisine-laboratoire. Si vous allez faire un tour à l’auberge Gasthof Rössli, ne ratez sous aucun prétexte la soupe de neige fumée, et proposez au chef de l’accompagner dans ses explorations forestières, il se fera un plaisir de vous servir de guide !

Légumes-du-jardin-Marc-Veyrat-dans-sa-maison-des-bois
Marc Veyrat, son plat « Raviolis de notre Jardin », fleurs et légumes sauvages que l’on ramasse autour de la Maison des Bois…

La cuisine des arbres, une démarche écologique et innovante

Ces grands cuisiniers, dont beaucoup ont eu la chance de grandir au contact direct de la forêt, inscrivent unanimement leur démarche dans le respect du cycle des saisons et la consommation de produits à la fois locaux, bruts et inventifs, à l’image du chef luxembourgeois René Mathieu : « Respecter le rythme des saisons c’est être en harmonie avec la nature et avec soi-même ! Depuis toujours l’homme s’est adapté à ce mouvement cyclique et énergétique, à nous de nous adapter à nouveau et de reprendre les choses en main… (…) Il faut éduquer les gens aux aliments et aux saisons. Ce qu’on a autour de nous doit suffire ou presque ». Aujourd’hui la forêt apparaît comme un des derniers bastions encore préservés de la pollution, espérons que la redécouverte de l’art de la cueillette et la popularisation de la cuisine des arbres contribuent à sa sauvegarde !

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