Majuli, une île isolée, de sable, de marais et de forêts, prisonnière des bras du terrible fleuve Brahmapoutre, au nord de l’Inde. Une île qui s’étendait au début du XIXème siècle sur plus de 1 000 km2, et qui aujourd’hui n’en fait plus que 400 avec à l’horizon 2030 la perspective pour ses 150 000 habitants d’un engloutissement définitif sous la surface des eaux du grand fleuve sacré. En cause l’inéluctable érosion des sols des rives de l’île au moment de la mousson, un phénomène aujourd’hui accentué par les effets du réchauffement climatique et de la fonte des glaciers himalayens.
Face à cette mort annoncée, un homme s’est levé et a décidé d’agir : Jadav Payeng, qui peut se vanter aujourd’hui d’avoir planté tout seul et à mains nues une forêt équivalente en surface à 30 terrains de football ! Retour sur un parcours particulièrement inspirant.
L’expérience fondatrice
Comme bien souvent, c’est dans les expériences de jeunesse de l’homme qu’il faut chercher l’origine de son engagement. Fils d’un marchand de buffles, Jadav Payeng a grandi dans une famille pauvre d’une communauté tribale marginalisée de l’île de Majuli, dont les membres vivent à l’écart du temps, en semi-autarcie. En 1979, lors d’une crue du Brahmapoutre, l’eau apporte sur l’île de la vie végétale et animale, en particulier des serpents. Mais quand elle se retire, Jadav Payeng, qui a 16 ans, découvre le spectacle effrayant de centaines de serpents morts échoués sur le sable, victimes de la chaleur et de la sècheresse, faute d’arbres à l’ombre desquels s’abriter.
Il contacte les autorités responsables de la forêt et leur demande s’ils pourraient venir planter des arbres. On lui répond qu’aucun arbre ne poussera jamais là, mais qu’il peut toujours essayer avec du bambou. Et c’est ce qu’il fait, comme il l’explique dans un article paru dans The Times for India en 2012 : « Cela n’intéressait personne, j’étais tout seul, c’était très difficile, mais je l’ai fait ».
Planter un arbre par jour
Jadav Payeng quitte son école, sa maison, sa famille et s’installe tout seul sur le banc de sable. Chaque jour il creuse un trou avec un bâton et plante dans le sol stérile un jeune plant de bambou, et chaque jour il arrose et taille ses plantations. Au bout de quelques années, le banc de sable est couvert de bambous. Il décide alors de planter de vrais arbres, commence par aller chercher à vélo une à une les graines à l’autre bout de l’île, ramène de son village des colonies de fourmis rouges qui améliorent la qualité des sols, et peu à peu sa forêt grandit et prospère (500 hectares aujourd’hui !), les arbres commencent à fournir eux-mêmes les graines, des centaines d’espèces d’oiseaux reviennent, des cerfs, des rhinocéros à une corne, des tigres du Bengale, des éléphants d’Asie…
Quand Jadav Payeng sort du bois
En 2007, à la faveur du reportage d’un photojournaliste, le monde entier commence à s’intéresser à l’incroyable initiative de Jadav Payeng, il reçoit le soutien de nombreuses personnalités et ONG, accueille des visiteurs du monde entier, fait l’objet de documentaires primés, et même d’un livre pour enfants : Jadav and the tree place ! De son côté, le Département de la Forêt de l’État d’Assam n’entend parler de Jadav Payeng qu’en 2008 : « Nous avons été très surpris de découvrir une forêt si dense sur le banc de sable. Des habitants, dont les maisons avaient été détruites par les éléphants, réclamaient la destruction de la forêt, mais Payeng les a mis au défi de le tuer d’abord lui. Nous sommes allés voir sur place, et nous avons été stupéfaits. N’importe où ailleurs, il aurait été considéré comme un héros !!! ». Il faudra cependant attendre encore quelques années avant que le gouvernement indien ne décide de transformer la forêt de Jadav Payeng en réserve naturelle protégée.
Cette célébrité n’est pas vaine, et Jadav Payeng entend bien la mettre au service de son projet comme il l’explique dans une interview accordée au blog de Veolia #LivingCircular : « L’île est vaste et je ne peux achever ce projet seul. Heureusement, depuis que des médias ont raconté mon histoire, j’ai reçu de nombreux messages de soutien. Des personnes et des ONG souhaitent m’aider. Ensemble, nous allons poursuivre la reforestation de l’île. Pour que Majuli – et l’Inde tout entière, je l’espère ! – redevienne verte ». Un objectif ambitieux, mais qui ne fait sûrement pas peur à celui qui n’hésite pas à affirmer : « Je planterai jusqu’à mon dernier souffle ». #insipiration