Le 15 avril 2019, un gigantesque incendie ravageait la cathédrale Notre-Dame de Paris, provoquant l’effondrement de la charpente, l’une des plus anciennes de la capitale, puisqu’elle date du XIIIème siècle. Comment reconstituer cette « forêt », dont chacune des mille poutres provient d’un chêne différent ?
L’Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de l’édifice sous la houlette du général d’armée Jean-Louis Georgelin a étudié plusieurs scénarios, avant de les présenter le 25 mars 2021 à la commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA). Alors, reconstruction à l’identique ou interprétation libre avec du béton ou d’autres matériaux ?
Faut-il reconstruire Notre-Dame de Paris à l’identique ?
Aussitôt que, deux jours après l’incendie, le Premier ministre Edouard Philippe lança un concours de reconstruction de Notre-Dame de Paris, les propositions des architectes affluèrent : flèche en verre, en cristal, en métal, en pierre, en forme de flamme, ou couverte de vitraux, pic lumineux se perdant dans le ciel, jardin suspendu, serres en hauteur, zone de promenade sur les toits, et même piscine offrant un espace méditatif avec vue imprenable sur Paris ! Sans parler des innombrables montages photos qui surgirent sur les réseaux sociaux, montrant Notre-Dame surmontée d’un pommeau de douche, d’un rayon vert, d’un château style Disneyland, d’un croissant musulman, d’une bouteille de champagne, d’une nouvelle pyramide en verre… Après ce foisonnement d’idées folles et de débats enflammés, retour au réel et au sérieux avec au final l’approbation par la CNPA du plan de reconstruction « raisonnée », quasiment identique à la charpente originelle.
Un projet fédérateur pour la filière française du bois
A vrai dire, les arguments ne manquent pas en faveur de ce choix : considérations esthétiques, extraordinaire longévité de la charpente originale, souci de respecter et sauvegarder le patrimoine… Mais aussi le fait que les architectes disposent déjà d’un double numérique parfait de la charpente réalisé en 2014 par l’entreprise Art graphique & Patrimoine, ainsi que de relevés millimétriques effectués en 2015. Et enfin, l’opportunité d’une formidable revalorisation de la filière française du bois, qui va être mobilisée autour de ce projet. Pour Frédéric Epaud, spécialiste des charpentes médiévales au CNRS, il est tout à fait réaliste d’envisager une inauguration de la reconstruction pour avril 2024.
L’établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame de Paris a donc passé commande de quelques 1300 chênes auprès de la filière France Bois Forêt, qui réunit tous les acteurs publics et privés du secteur. Le cahier des charges est strict : il faut des arbres robustes, bien droits, sans nœud, sans gélivure (un défaut dans le bois causé par l’action du gel). Ils feront entre 50 à 90 cm de diamètre et de 5 à 14 mètres de long à partir de la bille de bois s’ils viennent de domaines privées. Les forêts domaniales donneront les arbres les plus hauts, entre 15 et 21 mètres. Les plus gros spécimens et les plus vieux seront utilisés pour la flèche. Enfin, fait notable, tous ces arbres seront donnés. Au final, les arbres seront issus pour moitié de forêts publiques, pour moitié de près de 150 forêts privées.
Quant aux inquiétudes d’associations dénonçant l’abattage d’arbres centenaires, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot les a magistralement démontées : « Comment défendre la filière bois sans procéder à des coupes prévues en tout état de cause ! Il n’y a aucune flibuste, aucun piratage, aucune amputation du patrimoine. Une forêt, ça se gère ». C’est dit.
Tour de France des forêts engagées dans la reconstruction de Notre-Dame de Paris
Pour ce casting exceptionnel, pris en charge, sous la houlette de l’expert forestier Philippe Gourmain, par « France Bois Notre-Dame », un organisme dédié et composé de bénévoles, l’ensemble des régions françaises ont été mises à contribution : une soixantaine d’arbres viendront de la Haute-Saône, 300 de la Nièvre et de l’Yonne, 150 d’Ile-de-France, une cinquantaine d’Alsace, une centaine d’autres de la forêt de Mormal dans le Nord, une vingtaine de la forêt du Chandelais dans le Maine-et-Loire, 30 seront prélevés dans la forêt de Loches en Indre-et-Loire, huit dans la forêt bretonne de Paimpont, trois dans celle de Vouillé-Saint-Hilaire dans la Vienne, deux arbres centenaires sortiront de celle de Vicq-sur-Breuilh dans la Haute-Vienne. Les villages de Faymont en Haute-Saône ou de Poligny dans le Jura apporteront un chêne chacun, etc.
L’Institut de France proposera plusieurs chênes des forêts de Chantilly et de Chaalis, comme l’explique le Chancelier Xavier Darcos : « L’Institut a souhaité rendre hommage à la cathédrale, dire ce qu’elle représente pour nos lettres et nos arts, notre histoire et notre avenir, avant de prendre part à sa renaissance ».
Premier coup de hache le 5 mars 2021 dans la forêt de Bercé…
Le chantier d’abattage des arbres a démarré le 5 mars dernier dans la forêt de Bercé (Sarthe) en présence des ministres de l’Agriculture et de la Culture qui ont procédé au marquage de l’un des huit chênes qui serviront à rebâtir la flèche de Viollet-le-Duc. La forêt de Bercé, dédiée du temps de Colbert à la production des arbres pour la Marine royale, n’a pas été choisie au hasard, comme l’explique Philippe Gourmain : « Ce sont les plus beaux chênes de France, les plus chers aussi… Le numéro un vaudrait peut-être 10 000 euros s’il avait été mis en vente ».
…en attendant le Te Deum du 16 avril 2024
Les arbres, une fois abattus et identifiés par un numéro permettant leur traçabilité, seront laissés sur place pendant six mois, « car l’arbre peut réagir, avec des vrilles, des courbures. Quand il a vrillé, alors on sait qu’il ne bougera plus », explique Aymeric Albert de l’ONF. Les troncs seront ensuite « débardés » (amenés au bord des chemins), puis débités et répartis dans une vingtaine de scieries. Une fois que les poutres seront taillées elles reposeront entre un an et an et demi, jusqu’à ce qu’un taux d’humidité de moins de 30% soit atteint. Enfin, début 2023, l’assemblage commencera. Et si tout va bien, la nouvelle cathédrale sera inaugurée au son d’un Te Deum solennel le 16 avril 2024 !