L’expédition de Jacques Cartier sauvée par l’Annedda

Dans son « Bref récit et succincte narration de la navigation faite en 1535 et 1536 aux îles de Canada, Hochelaga, Saguenay et autres », le célèbre explorateur et découvreur du Canada que fut Jacques Cartier relate avec moultes précisions comment une plante miraculeuse, l’annedda, permit de guérir les marins atteints d’un mal mystérieux et mortel, le scorbut. Retour sur une page d’histoire dont le récit fait aujourd’hui encore frémir d’horreur les écoliers canadiens et qui illustre la fécondité des croisements entre savoirs traditionnels et recherche scientifique.

Une « grosse maladie » décime l’équipage, une étrange tisane de conifère les sauve

Le 16 mai 1535, trois navires rassemblant 110 marins sous le commandement de Jacques Cartier quittent le port de Saint-Malo pour explorer les contrées canadiennes. L’hiver arrive, les bateaux sont coincés dans les glaces du Saint-Laurent, l’expédition est condamnée à hiberner sur le site actuel de Québec à proximité du village iroquoien de Stadaconé, une « grosse maladie » terrasse alors les hommes, 25 d’entre eux meurent, les autres sont dans un état désespéré :  leurs jambes deviennent grosses comme des troncs d’arbres, et sont tellement boursouflées qu’elles laissent voir les nerfs noircis. Peu à peu les hanches, les cuisses, les épaules, les bras, puis le cou sont atteints. Enfin la bouche, avec les gencives purulentes et les dents qui se déchaussent… Face à cette calamité, Jacques Cartier se résout à demander secours aux indigènes, qui administrent aux malades une décoction d’aiguilles et d’écorces d’un conifère local, qu’ils appellent l’annedda. Les effets sont spectaculaires, en quelques jours, tous les hommes sont guéris, et même les moribonds ressuscitent !

Cône de pin blanc ou Annedda
Cône de pin blanc ou Annedda (photos de Berthier Plante)
Réserve naturelle de l'Annedda
Réserve naturelle de l’Annedda fondée par Berthier Plante en 1996 et qu’il a généreusement donné à l’organisme pour la conservation du Corridor appalachien.

Le voile se lève sur le « miracle de Sainte Vitamine C »

La description très précise des symptômes de la maladie a beaucoup fait progresser les connaissances sur ce qu’il est convenu d’appeler scorbut ou avitaminose scorbutique, une maladie endémique dont souffrirent jusqu’au XVIIIème siècle les marins européens, réduits à une alimentation essentiellement composée de biscuits, de viande salée et de poisson, et très pauvre en fruits et légumes. Au fil des ans, d’expérience empirique en tentative d’essais cliniques, on identifia le coupable : c’est le manque de vitamine C, que l’on trouve en abondance dans les agrumes, qui provoque le scorbut. Et il faudra finalement attendre 1937 pour que le biochimiste hongrois Albert Szent-Györgyi découvre la structure chimique de la vitamine C, et que le Polonais Tadeusz Reichstein réalise la synthèse de la vitamine C, c’est-à-dire la recette permettant d’en fabriquer. 

Quant à la décoction magique de pin, c’est un chimiste français de Bordeaux, Jacques Masquelier, qui dans les années 50 en perça le secret en mettant au point le pycnogénol, une mixture d’acides organiques et de procyanidines élaborée à partir d’écorce de pin maritime français, qui s’avéra avoir un pouvoir antioxydant 20 à 30 fois plus élevé que la vitamine C !

Savoirs traditionnels et connaissance scientifique : entre complémentarité et rivalités

L’histoire des pouvoirs magiques de l’annedda sur les malades souffrant du scorbut, qui au fil des siècles a fait couler beaucoup d’encre chez les botanistes, les ethnologues, les historiens, les chimistes ou les biologistes, illustre magnifiquement les bénéfices pour la santé humaine de la rencontre des savoirs traditionnels avec la science. Le débat n’est pourtant pas toujours serein, preuve en est la levée de boucliers qui survint au Canada justement, lorsque début 2018 le gouvernement fédéral présenta un projet de loi prévoyant de rendre obligatoire le respect des connaissances traditionnelles autochtones dans l’évaluation environnementale des futurs implantations de pipelines, de mines, de barrages, de lignes électriques ou de ports sur les territoires autochtones du Québec. D’aucuns n’ont pas apprécié que le respect ancestral des déplacements d’animaux ne vienne éventuellement contredire leurs données scientifiques… Il en va pourtant de la santé de la planète !

Pour aller plus loin

Voici un ouvrage extrêmement bien documenté et rédigé par Berthier Plante, le fondateur de la réserve naturelle de l’Annedda au Québec, pour nos lecteurs désirant approfondir le sujet !

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