Lors de la 44ème réunion du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO qui s’est tenue du 16 au 31 juillet 2021, 20 nouveaux biens ont été inscrits au patrimoine mondial, dont, pour les sites naturels, quelques nouvelles « forêts primaires et anciennes de hêtres des Carpates et d’autres régions d’Europe ». Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, et Bérangère Abba, secrétaire d’Etat chargée de la Biodiversité, ont salué l’inscription de trois hêtraies françaises sur cette liste : la réserve du Grand Ventron dans le massif vosgien, la réserve du Chapitre dans les Hautes-Alpes et la réserve de la Massane dans les Pyrénées-Orientales. Mais au fait, quels sont les enjeux de la préservation de ces espaces remarquables ?
Qu’est-ce qu’une forêt primaire ?
Dans une tribune publiée dans Le Monde du 9 octobre 2019 où il plaidait pour la création d’un espace international préservé de toute activité humaine, le biologiste et botaniste Francis Hallé définissait ainsi la forêt primaire : « Est qualifiée de « primaire » une forêt n’ayant jamais été ni défrichée, ni exploitée, ni modifiée, de façon quelconque par l’homme. Si elle l’a été – ce qui est très souvent le cas – mais si un temps suffisant s’est écoulé sans intervention humaine, le caractère « primaire » sera de retour ». Cela en sachant que l’on estime que pour que renaisse une forêt primaire à partir d’un sol défriché, il faut sept siècles dans les tropiques humides, où la croissance a lieu toute l’année, et dix siècles aux latitudes tempérées, où la croissance, plus lente, s’arrête en hiver !
Et Francis Hallé d’insister : « Il suffit de marcher cinq minutes dans la forêt de Bialowieza en Pologne pour se rendre compte qu’une forêt primaire n’a rien à voir avec celles que nous connaissons aujourd’hui en France. Ce sont des sommets de biodiversité et d’esthétique ». Les forêts primaires, ou forêts « vierges », sont de véritables « niches écologiques », exceptionnelles en termes de biodiversité, puisqu’elles regroupent des espèces indigènes, c’est-à-dire des organismes qui ont évolué sans jamais avoir été en contact avec l’homme. Elles sont également essentielles pour les équilibres hydrologiques, le stockage de carbone ou encore la réduction des impacts des épisodes climatiques extrêmes et l’atténuation des effets du changement climatique.
L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO
Depuis 2007, le bien » Forêts primaires et anciennes de Hêtre des Carpates et d’autres régions d’Europe » est inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, qui reconnaît la valeur universelle et exceptionnelle de hêtraies réparties sur le territoire européen. Début 2020, la France, très soutenue dans sa démarche par les ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture, en lien avec l’ONF et Réserves naturelles de France, a déposé un dossier de candidature pour neuf sites naturels. Trois d’entre eux ont été retenus, venant compléter une liste comptant désormais 94 éléments répartis dans 18 pays : Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Espagne, France, Italie, Macédoine du Nord, Monténegro, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suisse et Ukraine.
La réserve du Grand Ventron, 411 hectares de vieilles hêtraies
Assise à la fois sur les versants haut-rhinois et vosgiens, la réserve naturelle du massif du Ventron, créée en 1989, étend ses 1647 ha entre 720 et 1204 m d’altitude. Elle abrite un vaste domaine boisé, ponctué de clairières tourbeuses sur le versant lorrain, de chaumes secondaires le long de la crête et de grands éboulis rocheux sur les pentes alsaciennes.
Le site présente sur près de 400 ha une des rares forêts du massif vosgien à avoir conservé son caractère originel. Lors de l’annonce des résultats, le Parc Naturel Régional du Ballon des Vosges a précisé dans un communiqué que « si cette inscription est une reconnaissance internationale d’un patrimoine exceptionnel et des efforts engagés pour le conserver, elle vise également à encourager la conduite d’une gestion exemplaire qui doit viser l’excellence, (…) et contribuer à préserver l’intégrité du bien dans ses composantes biologiques, écologiques et paysagère ».
La réserve du Chapitre, une forêt « subnaturelle »
Le Bois du Chapitre, qui s’étend sur 371.30 ha, est situé dans la forêt de Chaudun, près de Gap (Hautes-Alpes). L’inventaire des Zones Naturelles d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF) en fait le descriptif suivant : « Le site recèle de très beaux ensembles forestiers dont le Bois du Chapitre, qui a conservé un très fort degré de naturalité sur certains secteurs, et forme une très belle et riche hêtraie sapinière ». Bien que très exploité par le passé (jusqu’à la mise en place en 1860 d’une politique de Restauration des Terrains de Montagne / RTM), le Bois du Chapitre est un site dit « subnaturel » : c’est à dire que, malgré l’intervention passée de l’homme, il se rapproche fortement des forêts naturelles dans sa composition, sa structure et sa dynamique. A noter que le Bois du Chapitre n’est traversé par aucun sentier balisé, afin de garantir l’évolution naturelle de la forêt.
La réserve de la Massane, un bijou catalan
Située dans le massif des Albères (Pyrénées-Orientales), la forêt de la Massane constitue un site où, depuis plusieurs millénaires, la continuité forestière a été préservée. Elle s’étend sur 336 ha, dont 120 composés de hêtres purs, c’est à dire qui n’ont pas été récoltés depuis au moins 150 ans. La Massane est donc une forêt de « libre évolution », à l’écart de toute intervention humaine, et c’est à ce titre qu’elle a été retenue par l’UNESCO. Selon les responsables de la Réserve naturelle de la Massane en charge de sa protection, ce classement est « le fruit du travail exemplaire mené tant sur la connaissance que sur la gestion de la réserve depuis sa création en 1973 par les organismes cogestionnaires : l’Association des Amis de la Massane et la Fédération des Réserves Naturelles Catalanes ».
Concluons avec Francis Hallé qui, dans une interview accordée au magazine Reporterre le 24 mai 2021, confiait : « Il y a dans le rapport des arbres au temps quelque chose de fabuleux. Quand je regarde un arbre, aujourd’hui, je me dis que c’est un spectacle que j’aurais pu observer au Crétacé. Tout s’est métamorphosé autour. Les paysages se sont transformés, l’homme est apparu, des villes ont poussé, mais les arbres, eux, demeurent. Rien n’a changé depuis leurs origines, soit il y a plus de cent millions d’années. Ils sont immuables, quasi éternels. Grâce à eux, j’ai appris à voir le monde différemment. Quand je grimpe sur l’un d’entre eux et que je me perche à sa cime, l’horizon me semble plus vaste, je vois plus loin, je respire ». Tout est dit !